Je sais déjà pourquoi il faut que ça tombe sur moi mais quand même...

Ame avait une relation stable depuis maintenant trois mois et en était fière. Connaissant son caractère, c'était en effet une durée colossale. Sa petite amie s'appelait Kazusa, nom courant s'il en est, avait les cheveux noirs, les yeux noirs, un sourire resplendissant, des vêtements fluos, et elle avait cru son excuse de boulot en retard et d'heures sup' qui lui permettrait de rentrer vers six heures du matin.

Certes, l'excuse était plausible étant donné le nombre d'heures sup' qu'elle faisait véritablement en s'aidant de deux ou trois enchantements pour ne pas se faire accuser à tort d'adultère. Et voilà que cette excuse qu'elle avait refusé d'utiliser lorsqu'elle était valable lui permettait de s'offrir une nuit de liberté. Évidemment, elle n'avait pas réellement l'intention de tromper Kazusa. D'abord parce que celle ci ne lui pardonnerais pas et ensuite parce que ce n'était vraiment pas son genre.

De toutes façons, la boîte de nuit qu'elle comptait honorer de sa présence ce soir était principalement hétéro et il y avait peu de risques de tentations. elle allait passer une agréable soirée à danser et se défouler sans que personne ait à subir son trop-plein d'énergie.

C'était le principe.

C'était ce qui aurait dû se passer jusqu'à ce qu'elle arrive à l'entrée de ladite boîte de nuit.
Elle était une habituée. Et si elle n'y aurait probablement pas fait attention en entrant dans n'importe quelle autre boîte de nuit, cette fois ci, elle vit très nettement que quelqu'un venait de se faire jeter. Et pas n'importe qui, ça non. Un Haut Prince Démoniaque. Un des amants réguliers de leur Reine. Un de ceux qui pouvaient joyeusement détruire la moitié du pays mais qui, ne trouvant pas ça drôle, préféraient le laisser prospérer sans trop intervenir. Et il y avait une chose que ces charmantes créatures ne supportaient pas, juste après le refus d'une partie de jambe en l'air: ces entrailles sur griffes n'appréciaient pas du tout être blessés dans leur dignité. Et celui ci venait justement de se faire proprement humilier par le vigile.

Elle était pour le moment la seule éveillée présente, donc la seule à avoir remarqué cet état de fait. L'amas de viscères éméché se tenait à la porte, de l'air digne de ceux qui donnent aux sous-merdes la chance inestimables de réparer leurs erreurs catastrophiques. Il se dégageait de la créature infernale de l'amertume et de la rancœur, bien sûr, mais pas seulement. De Sa Majesté démoniaque suintait une envie de Meurtre. Mais pas cette envie qui vous arrive une ou deux fois dans votre vie et qui, avec des chaînes et/ou une camisole suffisamment solides, passent en quelques semaines seulement, non. Là, c'était une envie de Meurtre (avec un M majuscule que cela vous plaise ou non) viscérale, agressive, intenable, qui la mettait elle même sous pression et que les deux autres amants dits réguliers de la Reine auraient eux même eu du mal à enrayer. Quant à l'arrêter, personne n'y aurait seulement pensé: tous se seraient mis aux abris, sauf les humains. Tous y compris elle.

Il n'était plus question de s'amuser, sa soirée tombait tout simplement dans le sang.
Et tripes.
Elle se glissa le plus discrètement possible hors de la foule et se jeta sur la première porte ouverte du premier bâtiment à disposition. Toute épaisseur de mur la distançant de la vexation cuisante d'un certain Démon était bonne à prendre. Seulement dès qu'elle eut franchi cette porte, elle sut qu'elle avait fait un mauvais calcul.

Tout d'abord, le bâtiment qu'elle avait choisi n'avait d'autre issue que son entrée, qui donnait sur la rue dans laquelle rôdait amèrement un concentré de noirceur. Ensuite, elle ne pouvait pas rentrer chez elle, ayant une excuse en béton pour la nuit (re-tripes). Elle devrait donc passer la nuit sur place. La constatation la plus affligeante était la nature du lieu.

Elle se trouvait dans un amas de dentelles aux tons pastels au milieu desquelles on servait le thé sur des tables magnifiquement ouvragées. La bar n'était pas assez grand pour s'y cacher, et même s'il l'avait été, son contenu aurait occupé la cachette. Elle pouvait toujours prier pour qu'il n'y ait aucun client aux yeux rouges cette nuit.

C'est avec beaucoup de crainte, très peu de respect, et un peu de désarroi qu'elle s'assit à la première table, à l'entrée. Ainsi, si un autre Éveillé fuyait les foudres princières, elle pourrait peut être converser avec quelqu'un dont les propos de seraient ni mauves ni roses ni jaune canari s'il vous plait.

Très patiemment, elle commanda pour commencer une tasse de thé rouge, un sucre, et une assiette de biscuits vanillés.
La nuit serait longue...

Tripes.